Le toit est architecture
Depuis 1913, nous ressentions tous un besoin d’abstraction et de simplification (Theo van Doesburg).
Ma contribution s’articulera en trois parties
- Dans un premier temps, j’essaierai de voir comment on est passé du toit à la terrasse, de l’abri au lieu vécu, une nouvelle esthétique ou une nouvelle technique en est-elle à l’origine ? Et pourquoi un tel engouement aujourd’hui ?
- Puis dans une seconde partie historique nous considèrerons les exemples les plus marquants.
- Enfin quelques illustrations de notre travail avant une conclusion sous forme de question.
Je propose donc de clarifier les qualités implicites des toits, des terrasses, des toits-terrasses et tout leurs usages, de la simple protection au roof top, en passant par les solutions végétalisées. La solution technique moderne apparue à la fin du XIX ° siècles avec les dalles bitumées et les récents progrès ne justifient pas à mon avis l’engouement actuel. Le consensus autour des toits-terrasses vient d’ailleurs et je vais tenter d’en révéler les origines et les implications.
Il faut adopter une position analytique et argumentée pour considérer au mieux le problème. Les toitures végétalisées et/ou accessibles apportent aujourd’hui incontestablement la meilleure solution en terme d’isolation, de protection des complexe étanches, des fortes inerties thermiques en sous face. Cet avantage technique s’appuie aussi sur la participation au paysage des toitures à habiter et par la valorisation de la bio-diversité. Ces nouvelles terrasses sont ouvertes aux multiples usages possibles et à venir.
Mais avant je vais revenir sur quelques fondamentaux pour enrichir le débat. Posons la question du sens de la terrasse, du toit terrasse, et d’abord l’etymologie du mot toit, du mot terrasse. Le mot « toit « (tego) n’est pas loin du tectum de arché-tektonia. Le toit est donc architecture. Pour Vitruve le premier toit est végétal et horizontal. Je cite Palladio citant Vitruve, dans les quatre livres de l’architecture, Palladio dit « Vitruve écrit que les hommes des premiers siècles faisaient des couvertures toutes plates, mais que s’étant aperçus qu’ils n’étaient pas assez garantis des pluies la nécessité les contraignit de les élever en faîte, de faire COMBLE au milieu »
Pour Palladio sa pente est techniquement nécessaire et utile, variable selon les climats mais son idéal reste la ligne horizontale avec un statuaire qui tend vers le ciel. On touche là à la question de la verticalité qui à mon avis est importante pour éclairer la ténacité des toits pentus revetus de petits éléments comme des tuiles qui ne sont en soi ni étanches à l’eau, ni à l’air car opérant par recouvrement. Le toit terrasse étant plutôt conçu comme une membrane continue étanche. Il donne lui une véritable peau aux toitures. Mais également le toit comme abri implique un dessous, un dedans, habité et dès lors génère un lieu, imaginaire et chargé de sens : le grenier. Grenier vient du latin granarium, c’est le lieu du stockage, de l’entrepôts de grains de souvenirs. De même « combles »vient de cumulus, qui signifie tas, amoncellement surplus…
Je pense que sa disparition sous un toit horizontal fut un frein au développement des toits-terrasses, ce grenier marquait un lieu, un pole fixe de l’habiter. Aujourd’hui le ressenti de ce manque disparaît. Stocker n’a plus trop de sens, la généralisation d’une économie de la consommation au XX° siècle trouvait là parfait écho. J’avancerai que la pensée nomadique et les usages de déterritorialisation progressant aujourd’hui encore plus manifestement par le stockage numérique, le nomadisme et l’ubiquité conduisent à accepter cette situation.
Dans terrasse il y a terre, il y un sol fertile ou praticable. L’origine du mot est terrace qui signifie boue, tourbe. La terrasse est molle, malléable. La présence de couverture du toit par un tapis épais et lourd au-dessus de la maison renvoie aussi aux premiers mode d’habitat, au couverture de tourbes et de chaume, et là la mémoire agit dans le sens de cette nouvelle acceptation du toit terrasse.
Le toit terrasse un nouveau lieu à conquérir. Reste la question de créer son lieu, d’habiter.
A Manhattan dans l’East side au XIX° la terrasse reçoit les cordes à linge et sert de chemin d’observation, on pense à la séquence avec De Niro dans le Parrain courant de toit en toit. Puis le toit reçu toutes les machines gérant l’air pour des atmosphères contrôlées. On lira avec intérêt la proposition de Peter Sloterdijk sur l’habitat comme bulle immunitaire. Par contre aujourd’hui enfin on retrouve des espaces végétalisés et des supports et d’étanchéité solide pour y vivre à l’air libre ou abrité en hauteur. On voit enfin se multiplier les usages des toits investis collectivement en ville.
En première conclusion, le toit devenu terrasse, c’est toute une pensée du toit comme toiture, comme pans inclinés procédant par recouvrement s’élevant verticalement qui disparait. Le grenier, le clocher, les combles… tous ces vécus et symboles ont disparu ou muté. Le toit est sous le ciel, il reçoit chaleur, fraicheur, pluie et neige, peut dès lors aussi accueillir oiseaux et insectes.
Quand les manifestes en faveur du toit terrasse apparaissent autour de 1920-25 et en particulier ce croquis de Le Corbusier, le nouveau toit reçoit la nature, l’emprise du bâtiment maintient la quantité de sol naturel. Puis les usages se sont diversifiés, comme à Turin pour le Lingotto comme piste d’essai des voitures, ou terrasses habités, ainsi que le toit comme lieux des machineries de contrôle d’air. La perception dès lors de l’usage du toit fut confuse et accentuée par la réputation de fuites. Et ont été délaissés.
Aujourd’hui on peut se poser la question du toit terrasse qui n’est pas seulement constructive, technique, idéologique mais également esthétique dans le sens non pas d’une réflexion sur la représentation ou mais plutôt comme expérience spatio-temporelle passant d’une logique des formes à une logique des forces. Les forces en jeu que sont le climat, la préservation de la bio diversité, la qualité des villes à reconquérir peut être faite par les toits, la densification et l’équilibre face à l’accroissement des populations en Afrique et en Inde, tout ceci impose que l’occupation de l’espace par le bâti puisse faire des propositions.
Ces enjeux commençant à être pris en compte, c’est une des raisons pour laquelle le développement des toits terrasses est incontestable. Ce consensus trouve les réponses dans les améliorations des procédés industriels et de la recherche sur les membranes étanches, les isolants, les compositions de substrats et les plantes les mieux adaptées.
L’esthétique résonne dans le social, l’architecte va mener de front un projet sur les fondamentaux (l’abri, le lieu, l’horizontal, la peau) et sur cette nouvelle relation entre le dedans et le dehors. Créer un lieu sous le ciel n’est pas nouveau, par contre la charge idéologique de cet espace en hauteur est forte. On touche là aussi aux limites des solutions car le toit terrasse doit demeurer libre pour d’autres usages à venir.
Le paysage rencontre aussi la pensée et je voudrai mettre le doigt sur une autre raisons de l’inertie vis à vis l’acceptation des toits terrasses. L’homme est le seul animal debout, vertical en équilibre instable. Sa tête est orientée vers le ciel. Ceci s’est traduit par la croyance à l’élévation vers un divin dans les cieux. D’oû les flèches des édifices religieux voire financiers. Opérant une rotation à 90 ° le toit n’est plus vertical mais réceptacle des éléments du ciel, aujourd’hui s’est substitué au croyances du divin le souci de l’écologie. Tout ce qui va rentrer dans le cadre « écologique » sera bien vu. Mais c’est le même dispositif qui serait à l’œuvre.
Quelques monuments jalonnant l’histoire du toit terrasse
- le toit végétalisé des indiens du Rajasthan et la chaume
- les toits terrasses – Babylone
- les maisons terrasses grecques – Santorini
- Les coupes de Vitruve – amphithéâtre
- le géométral de la renaissance, mais des toits en pentes . Villa Rotonda – Palladio
- Chambord a construit ses toit-terrasse sous forme de double toit ( Blondel)
- l’anneau Fiat sur l’usine – XX° siècle – Italie
- Maison Schröder – Rietveld
- Falling Water – FLW
- Le Corbusier se fait porte-parole des toits habités mais après tous les mouvements européens
- Les immeubles gradins Rokko House – Tadao Ando 1981
Au début du XX° tous les mouvements architecturaux confluent pour saisir l’opportunité de ces dalles horizontales de toit que l’on peut habiter. Theo Van Does Burg et la maison Schröder au Pays-Bas, Terragni à Côme avec le Novocomum, Leonidov en Russie avec le complexe Sov Kino à Moscou, 1927, Mies van der rohe au Weissen Hof de Stuttgart la même année. Tous les architectes travaillent à maintenir l’horizontalité. L’éclatement esthétique va dans le sens d’un seul mouvement, de la plus privée des maisons comme la Fallingwater House que les habitats collectifs.
Est ce qu’une réflexion sur le sens nouveau de ces lieux a accompagné cet essor, je n’en suis pas certain. On a vu que par exemple que l’attrait de la grande motte aves ses terrasses en gradin étaient un simple renvoi au mythe des jardins suspendus de Babylone et les années 70 regorgent de modèles de ce type d’immeubles gradin. Penser vraiment tant la manière de les concevoir que d’ouvrir à des usages nouveaux est sans doute ce qui caractérise ce début du XXIème siècle