Rassembler, sommer, trier, disposer et enfin tirer pour faire voir, rendre visible, ce site est pour nous deux un projet en soi dans le sens où nous l’entendons. C’est à dire une promesse faite à un lieu, aux autres et même un enjeu de temps. La question y est posée : la pensée est elle sous jacente, préalable à l’architecture ? La série n’explique pas les projets, n’en est pas à l’origine, ni prétexte mais la trace même des composants de l’architecture. À savoir : pli, mémoire, espace strié, rythme, échelle, purée, mémoire… nous obsèdent comme une ritournelle en fond. Les mots ne sont en rien les justificatifs de tel ou telle forme du projet.
Kenneth Frampton qui introduit notre livre relève cette continuité de l’inscription de l’architecture dans deux points marquants: – Cette interrogation violente sur la circulation mondiale, les clichés circulent mais ne sont que des signes. – Celui de la tectonique et de l’inscription matérielle. Construire n’est pas concrétiser un croquis ou une intention mais nous aimerions démontrer que le projet comme germe est tout aussi bien un préalable (croquis/texte) qu’un outil (le dessin), que matérialité en devenir, et enfin chose habitée lancée dans la durée. En d’autres termes on essaie de rendre visible le cheminement qu’est le projet, germe et don, vecteur de devenir. Les croquis habitent la pensée, les lumières sont des révélateurs spatiaux et les matières (béton, bois, verre, acier, terre), posent le projet du dedans vers le dehors. Nous mesurons aujourd’hui l’importance de la promesse dans l’architecture et j’aimerai rappeler que la promesse rassemble la communauté, comme lieu. Un individu sans promesse meurt dans les 5 jours selon les paléontologues. Les 5 points de l’architecture deviennent les 5 promesses de l’architecture : – Le dedans (la peau interne/externe) – La tekhné (confort/abri) – Le beau – L’espace, donc la liberté – Le cristal (le rapport, au devenir, aux usures et usages)
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Notre dilemme aujourd’hui est bien posé devant l’affluence d’images et le peu d’offre d’espaces nouveaux. Le monde est menu, ; il faut commander et ne pas désespérer – l’espoir remplace la promesse ou en terme d’architecte le signe remplace le projet. Alors la frivolité remplace la liberté, or, l’espace est le lieu de cette liberté toujours renouvelée que l’architecte peut offrir. Ces dedans, ces lumières, ces formes sont là pour ça. Reposer la question du fond (le texte) de l’outil (le dessin) et de nos matériaux, c’est cela la tectonique. Nous sommes condamnés à proposer, à inventer, non pas dans le contexte mais en mettant en série les intentions contradictoires du lieu, du programme, de l’économie et du corps.
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Pour débuter nous n’avons jamais eu, que le testament de Charles Edouard Jeanneret: « Dans la vie, il faut faire. La constance est la définition de la vie. ». Et nous avons fait, De petites choses certes, mais avec tout le soin, les outils qui nous étaient donnés. Et comme rien n’est transmissible que la pensée, aujourd’hui nous cherchons à faire parvenir à travers ce livre, les fruits de ce labeur. Je vais vous parler de l’espace, du temps et du corps.. L’espace donne un temps à l’homme Initialement consacré à la religion, puis avec Palladio à la nature par l’insertion des points cardinaux, à la naissance du lieu , intuition profonde déjà que la perspective ne suffirait pas à décrire tout l’espace. On trouvera des lieux où le corps s’oublie, et d’autres au contraire, où il se révèle, existe. Espace, temps, corps sont les trois composantes fondamentales de l’architecture. L’espace temps de l’architecture classique, ou des architectures dictatoriales se veut à caractère immortel ignorant l’humain. Il prend un modèle une fois pour toute et lui donne n’importe quelle échelle, n’importe quelle longueur Supprimer le corps de l’architecture revient à y supprimer simplement la pensée, y supprimer le temps. Dans un lieu simple, même parfaitement constitué comme une abbaye cistercienne se trouve la sérénité, on ressent son existence. Le temps est l’un des facteurs les plus intrinsèques de l’être sur cette terre ; il est depuis la préhistoire la naissance de sa conscience. Il n’a rien à voir avec le néant qui n’est que le reflet de l’être en dehors de lui-même, dans une cellule en dehors du temps, qui regarderait le temps, l’homme. Hors en dehors de l’homme, le temps en architecture n’existe pas puisqu’il ne peut être compté. Voici donc une des composantes essentielles de l’espace : nombres, répétitions, temps. L’espace en se déployant nous offre le temps. Nous pouvons vivre dans l’architecture, nous avons le temps.
Mortification. Voici le temps des boîtes, des boîtes simples de mieux en mieux closes et fermées. On ne parlera plus de fenêtres, encore moins de baies mais de hublots. Belles boîtes, simples boîtes, don de boîtes vides, architecture boiteuse redondante de l’explosion du néant. De la liberté de la ligne, du corps, de la vie qui entre, sort, s ‘expose, se déploie, au mieux il reste un simple reflet, une évanescence, une disparition magique du temps. On retrouve le même discours mais totalement éluder. On refuse de procéder à un don, il s’agit d’une fuite. Sans doute est-il trop tard, combien de fois le mot reflet, combien de fois le mot espace en architecture ? Kenneth Frampton fut l’un des premiers à suggérer d’entrer en résistance, de simplement laisser l’homme exister dans l’espace non pas comme un reflet ou une statue. Force du mouvement dans l’espace, force du contraste entre statique et dynamique, Le point où s’attache la statique va se rompre et mettre la dynamique en marche, le ressort de la matière que nous suggère Leibniz. Forme d’espace et si la forme, la vraie forme d’un bâtiment était son espace vide, tendu entre les plis de la matière, là où l’on écoute l’écho avec le corps. Espace, rencontre où le pli se touche, résonne. Plier l’espace, à tel point qu’on ait la ferme impression que la forme du bâtiment va se déployer. Le corps en mouvement devient le rythme de l’architecture. Pli, les extrémités se touchent générant une image du parcours, une projetation de soi dans l’espace, une sensation de soi, du corps et de ses dimensions. Une sensation de sérénité. La vie est un pli qui se déploie au quotidien. Une forme comprimée qui délie un lien, s’ouvre. La forme ouverte est le déploiement de ce pli. Mouvement. On peut parler de déploiement de l’espace, de dérouler ce qui à l’origine est plié. Il y a création de temps tel est le don fabuleux de l’architecture. Isabelle Richard nos materiaux
Nous avons capté la nature liquide de cet élément béton . Se figeant lors de sa prise, le béton marque à la fois le temps par cette transformation dynamique, et l’espace par l’empreinte laissée par la matrice coffrage. Alors dans une vision historique la liquidité plastique n’a cessé d’augmenter depuis la Maison Hennebique (Bourg la Reine, 1903), jusqu’à devenir aujourd’hui extrêmement fluide dans les bétons dits autoplacants (que nous utilisons depuis 2002). Fluides, ils pénètrent aujourd’hui au fin fond de coffrages de 8 m de haut et s’imisce dans tous les recoins et détails du coffrage, sans vibration aucune. Ce progrès n’est pas une invention mais la continuité intrinsèque de la liquidité du produit qui va en s’améliorant sans cesse. Par ailleurs, le coffrage devient de plus en plus étanche et résistant ainsi à des pressions plus importantes jusqu’à 8 bars, laissant alors lire ces poussées par des déformations contrôlées d’ ou l’aspect « vague » obtenu ici avec les progrès de coffreurs comme Doka par exemple. La puissance des efforts dans le coffrage est rendue visible et l’évanescence de la lumière rasante vient révéler ces forces en jeu. Aujourd’hui, nous sommes dans une révélation des puissances et non plus dans une simple représentation du matériau. Paradoxalement, c’est sa capacité a créer de la légèreté qui nous conduit à employer le béton car les portées et porte à faux obtenus peuvent être pensés avec un minimum de matière. Évidemment c’est l’acier en son intérieur qui reprend les tensions mais sa plasticité et sa continuité donnent le feu vert à une liberté des idées, traduites dans la puissance de la forme… donc de l’espace. Aujourd’hui nous prenons les matières dans leur essence, plus en terme de force que d’aspect. Ainsi, nous construisons actuellement une Ecole avec une enveloppe béton soignée, portée en partie par des poteaux et consoles en profils d’acier de haute résistance qui supporte aussi les planchers en bois. Chaque matière est laissée en son aspect. On doit envisager sous 2 aspects : d’une part, en terme de bilan carbone et en mesurant les consommations fossiles induites en construisant, et d’autre part pendant l’exploitation. Il faut savoir que si un mur de 1 m² (15 cm d’épaisseur) consomme environ 450 Mj pour son cycle de mise en œuvre, il revient donc au cimentier de mettre en place des filières de production d’énergie au bois dans les fours. En revanche, en utilisant 250 litres d’eau pour ce même m², il est nécessaire de comparer cette quantité à celle utile pour l’acier, le verre, voire pour la préparation du bois…le recyclage d’eau doit impérativement être exclusif pour les cimentiers! Cette dépense énergétique dans le cycle de fabrication est largement compensée par les économies de chauffage dues à son inertie et aux économies d’électricité du fait des possibilités de grandes portées, donc d’apporter de la Lumière naturelle et des calories au sud. Pour nous la parcimonie et la pertinence propre du matériau sont à privilégier. Bannir les boites percées en béton et élaguer les structures en s’aidant des outils de calculs aux éléments finis et à une sensibilté aux forces plus qu’aux formes. S’attacher à surfer sur la vague des sols en béton et tenir compte que les magasins vendent des peintures « effet béton » pour construire béton mais léger. Moins, mais mieux… ! et : 1 tonne de béton entraîne plus ou moins 400 kg de CO2 s’il est mis en place sur le chantier (1 tonne d’acier entraine 1,5 tonne de CO2) Le béton employé en intérieur diminue la consolation d’énergie fossile, de par sa forte inertie Habiter et comprendre le lieu Habiter et comprendre le lieu d’un projet, c’est orienter notre observation dans les différentes étendues que forme ce projet et son site. Ces strates sédimentaires ou fonctionnelles se manifestent comme les couches de mémoire que Bergson met en évidence dans le cerveau humain en écrivant « Matière et Mémoire ».Les philosophes issus du structuralisme les appellent aujourd’hui séries. Ces couches identifient et mémorisent le lieu et les intentions. Elles fondent le projet en inscrivant dans la matière la profonde matérialité de ces strates de pensées. Figure cristal Jalonner ces différentes strates de points de repère nous induit à décrypter, traduire, affiner notre don d’observation. Mettre en correspondance les repères de ces couches donne le sens de notre travail de décryptage. Naîtra entre tous ces points de repère une cristallisation qui enlace, entrecroise, mixte, joint, maçonne ces couches successives en un mouvement définitif. Ce travail de synthèse permet de maîtriser le projet. Les relevés lentement accumulés ne restent pas improductifs, mais deviennent générateurs d’une échelle d’un rythme, d’une lumière, du passage intérieur extérieur.Cette forme n’est pas un objet à priori mais un outil de synthèse abstrait qui sait garder les intentions. Outil de création, cette figure n’est pas une juxtaposition difficile à manier de points d’inertie. Elle tend vers une forme abstraite qui contient le mouvement du projet, son thème, sa série principale.C’est une gestalt Un travail qui part du réel pour aller vers l’abstraction, qui sert à penser le réel. Cette figure est donc le lieu profond d’un objet architectural avec les intentions créatrices et les multiples traces qui créent un lieu. Il se peut que ce travail semble exhaustif pour le résultat qui est encore très loin d’un projet, mais il ouvre vers sa poésie.